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penchant. Le petit chamois qui vient de naître demande à sa mère : mère, où est le chemin de la grande vallée ? La cigogne, quand elle est vieille, part avant le jour pour s’abattre dans ma bruyère. Quand la feuille de l’olivier d’Andros est tombée, la bise me l’apporte dans sa robe pour me faire ma litière. La Grèce, pour rendre l’âme, s’est entassée, comme la feuillée d’hiver, sous mon palmier d’Alexandrie.

Hier, j’ai vu aborder dans sa galère Rome, toute chenue, à l’agonie, sur ma grève de Byzance. Jusqu’à présent, je n’avais point de nom. Depuis la mort du Christ, pour m’élargir mon lit, l’Orient tout entier s’est creusé, à mon côté, en un seul tombeau où tout arrive pour mourir. Aujourd’hui, on m’appelle Josaphat.



Ahasvérus.

à quoi t’amuses-tu pendant tes longues journées ?



La Vallée de Josaphat.

J’ai pour amoureux l’épervier jaloux, qui tout le jour me regarde du haut de ma cime. Si l’épervier par hasard clôt sa jaune paupière, j’aime aussi le nuage plein de grêle, quand il rase mes épaules de granit. Après que le nuage est passé, et qu’il ne peut plus retourner en arrière, j’aime encore le vent rugissant qui m’appelle sur ma porte. Dès le jour en hiver, je vais voir si l’araignée a filé pour sa tâche son pan de toile fine au sommet de mes pyramides, ou si le ver fainéant s’ennuie de scier avec sa scie les cadavres des vieux empires que les lions m’ont apportés sur leur dos. De loin, j’écoute le balcon du phare qui croule, la colonne qui s’assied en gémissant sur son séant, lasse de porter si longtemps sa corbeille sur sa tête, et le sphinx haletant qui court chercher un abri par le désert, quand la pluie a démoli son repaire dans le temple.

J’écoute aussi la fleur sauvage qui croule du haut de sa tige, le vieil aigle qui lais