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Adieu, sommet de gloire, où rien ne peut mûrir,
Hormis un fruit d’orgueil qui brûle et fait mourir,
Quand on le veut goûter. Adieu, mes destinées,
Si vite sur leur char en arrière entraînées !
Hier encore, hier le cœur du genre humain
Battait dans ma poitrine et conduisait ma main.
Combien de temps encor, dans sa poudreuse ornière,
Faut-il que le hasard me mène à sa lisière ?
Esclave d’un esclave, et le mal et le bien,
J’ai fait ce qu’il voulait, sans lui marchander rien.
J’ai fermé le chaos ; j’ai clos sa nuit profonde.
Sur son essieu brisé j’ai replacé le monde ;
J’ai fait, défait les rois pour son amusement ;
Je me croyais le maître, et j’étais l’instrument.
Vers un autre que moi s’inclinait ma puissance,
Et j’étais le hasard qu’on nomme providence.
Hors du large sentier où passe l’avenir,
Mon âme, à notre tour contentons mon désir !
Que notre volonté soit notre loi suprême ;
Donnons-nous le plaisir de vivre pour nous-même,
Et soyons-nous un jour notre divinité.
Tout encens est à nous. Le reste est vanité.
Mon âme, amuse-moi de ton rêve d’une heure…
Au sein de l’impossible établis ta demeure ;
Toi-même, si tu peux, essaye en te jouant
De renverser sur moi mon œuvre de géant.
Mon bonheur monotone à la fin m’importune,
Et je voudrais savoir le goût de l’infortune.