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Et ses clairons muets à la lèvre sanglante,
Et les chiens du couvent hurlaient dans la tourmente.
Mille voix appelaient, mille voix répondaient.
Sur le bord des glaciers les longs sabres pendaient,
Comme font les chevreaux aux bords des pâturages.
Les drapeaux engourdis se mêlaient aux nuages.
Mille mains à la fois traînaient un même char ;
Et la cloche sonnait sur le grand Saint-Bernard.
Ici j’ai vu bondir, sur son humide trace,
Comme un peuple enfermé dans son tombeau de glace,
L’avalanche croulante aux champs de Marengo.
Un seul mot dit trop haut, et redit par l’écho,
L’avait précipitée au penchant des abîmes.
Devant elle une main aplanissait les cimes.
Oh ! Quand elle eut enfin roulé, de bonds en bonds,
Au seuil de Marengo, loin du sentier des monts,
On entendit alors, là, sous la vigne mûre,
Le choc d’une cymbale, et le choc d’une armure ;
Puis bientôt sans harnais, mille et mille chevaux
Errants et tout meurtris que suivaient des corbeaux.
Puis un bruit haletant de canons qui mugissent,
De sabres ébréchés, de pas qui retentissent,
De pesants cavaliers croulant comme des tours,
De tambours ameutés comme des troupeaux d’ours,
Et vers le soir on vit l’aigle noire à deux têtes
Qui, sanglante, cherchait son nid dans les tempêtes.
Puis après tout se tut. Mais dès le lendemain
La neige sur les monts effaçait le chemin,