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Mille noms ont péri pour grossir son ouvrage.
Mille flots passeront pour qu’un seul flot surnage.
C’en est fait : un seul homme a, pendant leur sommeil,
Des peuples usurpé la place à leur soleil.
Qu’ils dorment ! Pour eux tous, ardente sentinelle,
Le jeune consul veille en la cité nouvelle ;
Et sur sa mappemonde, armé de son compas,
Il débrouille en un jour le chaos des états ;
Ou, penché sur son globe, il rapproche à sa guise
Deux rivages hurlants qu’un océan divise ;
Ou d’un mot il efface un peuple trop altier ;
Ou d’un trait de sa plume il se fraye un sentier
Sur le mont d’Annibal ; ou, quand son doigt s’arrête,
Il creuse dans le roc un port à la tempête ;
Et sa lampe, mourant sur ses projets divers,
Éclaire chaque fois un nouvel univers.
Souvent pendant la nuit, quand la nuit fait silence,
Le premier au conseil il met dans la balance
Le vieux code romain par l’évangile usé.
Son esprit, comme un glaive à sa droite aiguisé,
Tranche le nœud gordien que nouèrent les sages,
Et fait sa loi d’airain de mille obscurs usages.
Et les vieillards disaient : " Il nous surpasse tous.
D’où lui vient sa sagesse ? Il n’a pas comme nous,
Des siècles coutumiers épousant les coutumes,
Jour et nuit retourné leurs gothiques volumes ;
Nos fils sont de son âge, et son doigt frémissant
Jamais n’a feuilleté que son livre de sang.