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Et dit : " j’éveillerai cette mer qui sommeille.
Ravenne, écoute-moi ! Zara, prête l’oreille !
Voici. Je vais chanter les paroles de deuil
Sur Venise la belle au bleuâtre cercueil.

Pourquoi le golfe est-il si triste sur la plage ?
Le golfe cache-t-il un mystère au rivage ?
Pourquoi la voile au loin, sur l’océan désert,
Pend-elle au pied des mâts, comme un linceul ouvert ?
Pourquoi ne voit-on plus, dans ses vagues stériles,
La lionne de mer bondir autour des îles ?
C’est que le jour a fui ; puis les ans, à leur tour,
Entraînant leur limon, ont passé comme un jour.
Autrefois d’Attila quand sur l’aire divine
Le fléau vint frapper la puissance latine,
La lionne de mer cachée en ses roseaux
Vers Fusine allaitait ses petits lionceaux.
Et les îles au loin, vers Corcyre et vers Zante,
Aboyaient dans ses mers, comme une meute ardente.
Mais le jour où, changeant de figure et d’esprit,
Le monde se souvint du sépulcre du Christ,
Ce jour-là vit bondir sur sa rive enhardie
La maîtresse des flots et son peuple amphibie.
Sa galère porta vers Rhodes et Sidon
Plus d’un roi pèlerin. Byzance apprit son nom.
Du coup que Dandolo frappa sur le Bosphore,
Césarée et Stamboul se lamentent encore ;
Et son fouet ramena sur son seuil ébranlé
Le quadrige de bronze à Corinthe attelé.