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Se rappelant celui qui leur fait leur pâture,
Les canons ont léché la poudre de ses pieds.

Puis sur le pont rustique aux poutres vacillantes
Sur sa trace ont passé les nations tremblantes,
Comme après le bélier font les jeunes chevreaux ;
L’un va tenter le gué sur la rive embourbée ;
L’autre heurte du front la barrière tombée ;
Et l’étable le soir reçoit tous ses troupeaux.
Ils se sont émoussés sur ses habits de bure,
Les coups qui menaçaient, malgré leur chaste armure,
Le sein des nations. Du milieu des roseaux
L’étendard a jeté son ombre sur le monde ;
Et tous les morts au loin, jusqu’en la nuit profonde,
Battent en même temps des mains dans leurs tombeaux.
À leur tour en leur nuit voyant l’aube paraître,
Les peuples à ce signe ont reconnu leur maître.
Dès l’abord il leur plut ; et dans leurs vides cieux
Tous leurs cultes éteints pour lui se rallumèrent.
Avant que de le craindre, en ce jour ils l’aimèrent,
Pensant que, s’ils semaient, lui moissonnait pour eux.
Mais les rois ont pleuré ; leur long passé s’envole.
Quand le pont de l’abîme est franchi dans Arcole,
Le sentier est ouvert à tout le genre humain.
Les générations, dans l’avenir puisées,
Désormais passeront sur ses voûtes brisées ;
Le bélier aux chevreaux a montré le chemin.
Et depuis ce jour-là, comme aux jours de brumaire,
Les saules de Ronco jettent une ombre amère.