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nouvel art poétique, ni Klopstock plus qu’Arioste. Cette loi ne se déduit que de l’observation complète de l’humanité contemporaine. Or, si l’on envisage le monde social dans ses rapports avec l’art et la poésie, on trouve qu’il présente à l’artiste et au poëte deux instruments de nature très-différente, parmi les populations modernes. Les unes sont placées encore, en ce qui regarde l’art, dans cette simplicité primitive qui devance les littératures formées : ce sont les slaves avec tous leurs alliés, les russes, les serbes, les hongrois, les albanais, les grecs modernes, les roumains, puis les populations orientales, turques, circassiennes, arabes. Chez elles, l’art est encore un chant ; l’épopée se rencontre là sous sa forme la plus simple et la plus élémentaire. D’autres populations, au contraire, et ce sont celles chez lesquelles se trouve l’initiative sociale, ont quitté, dans la poésie, la forme spontanée, et sont parvenues à l’époque philosophique et scientifique ; c’est la France, l’Allemagne, l’Angleterre, l’Italie, l’Espagne. Là encore, ces deux éléments de l’art réfléchi et de la poésie primitive se rencontrent quelquefois, comme cela arrive dans certaines parties montagneuses de l’Italie, de l’Espagne, de l’Irlande, de l’écosse et dans la Bretagne française.

La première conséquence à tirer de là, c’est que le poëte qui cherchera à reproduire l’humanité contemporaine sera obligé de satisfaire à ces deux ordres de faits. De la même manière que l’épopée grecque renfermait en soi les différences et les génies épars des populations ioniennes, doriennes, orientales, occidentales, le poëte de nos jours devra représenter à la fois le génie spontané et le génie réfléchi, l’élément populaire et l’élément philosophique de l’humanité moderne. Le problème de son art est de combiner, sans les détruire, les deux formes propres à ces éléments opposés, pour en produire une troisième, laquelle sera le fondement et la législation de l’avenir.

L’art, en France, a déjà revêtu trois caractères principaux, et parcouru trois époques. Il a été sacerdotal jusqu’au dixième