Les critiques ont longtemps fait consister la différence de l’épopée et du drame dans la différence du récit et du dialogue. Néanmoins, il est constant que ces genres de poésie échangent souvent leurs formes. La narration est aussi fréquente dans le drame que le dialogue l’est dans l’épopée. Il est donc nécessaire de chercher dans une origine plus profonde les causes véritables de leurs différences.
Toute poésie, prise en soi, est lyrique ; et l’ode est le poëme primitif d’où sortent tous les autres. La poésie, recueillie immédiatement à sa source, c’est-à-dire dans la religion, dans le culte, dans l’idée de Dieu, n’est ni dramatique, ni épique ; elle est lyrique. Il est un moment, à l’origine des peuples, où tout poëme est hymne, dithyrambe, cantique. C’est le cantique de Moïse aux sources de l’Oreb ; c’est Orphée ; ce sont les eddas scandinaves ; ce sont les litanies chrétiennes. La poésie ne conserve pas immuablement cette forme sainte et sacrée ; elle ne reste pas toujours sacerdotale. La contemplation du culte ne l’enchaîne pas à jamais. à mesure que la foi des peuples est moins ardente, la poésie s’occupe d’une autre objet que de Dieu ; elle se sécularise ; c’est-à-dire qu’elle entre dans ce monde de lutte et de division qui se rencontre dans tout ce qui n’est pas immédiatement divin. Or, de quelle manière est-elle, et peut-elle être frappée du spectacle de l’univers ? Tout l’art est contenu dans cette question. Il y a deux systèmes éternels sous lesquels la poésie peut comprendre le monde. Premièrement, en présence de la foule d’objets qui le composent et de leur lutte apparente, la poésie, voisine encore de son origine, peut réfléchir l’univers sous l’idée de l’influence et de la sagesse divine. Elle peut rechercher l’harmonie du créateur et de sa création, préférablement à la discorde. Elle peut être frappée de l’enchaînement des choses et de leur ordre éternel ; elle peut s’inspirer de l’idée d’harmonie et de providence sous des noms différents ; elle s’appellera alors la poésie épique.