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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

spectacles de Londres qui correspondaient au contre. Mais comment cela ? Notre plan était bon au point de vue métaphysique, mais que vaudrait-il à l’exécution ? Selon toute apparence il se réduirait à rester à notre hôtel ; n’aller nulle part, c’était le moyen qui nous sembla le meilleur pour répartir de tous côtés notre présence.

Trois fois en ma vie mon sentimental, c’est-à-dire mon goût des proportions a été cruellement blessé. La première fois ce fut par une peinture qui représentait le Cap Horn, où il paraissait bien au-dessous du rang et de l’emploi qu’il occupe en ce monde, celui d’être l’extrême terminaison de notre plus grand continent, et de servir en quelque sorte de pivot, de charnière, à nos plus grands voyages de circumnavigation, où du moins de nos idées classiques de tour du monde. Avoir doublé le Cap Horn, — à certaine époque, comme cela sonnait bien ! Et pourtant combien nous serions honteux si jamais il nous fallait voir ce cap de la Lune ! J’ai entendu raconter qu’un groupe d’Anglais fit pendant la nuit l’ascension de l’Etna, afin d’être sur pied au lever du soleil, comme c’est l’usage des touristes, tant en Suisse que dans la principauté de Galles, le Cumberland, etc., mais s’ils avaient réfléchi un peu, ils se fussent évité beaucoup de peine pour un mince avantage, comme les touristes de l’Etna furent le reconnaître ensuite. À la vérité le soleil se leva, et il se montra, et il n’était pas plus enveloppé de nuages qu’il ne convenait ; mais ils furent si désappointés de l’effet dans son ensemble, et en particulier si dégoûtés du soleil, qu’ils le sifflèrent à l’unanimité : il ne leur eût d’ailleurs servi à rien de crier : « Enlevez-le ! enlevez-le ! » Mais après tout, ils avaient eu tort de