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DU MANGEUR D’OPIUM

chez ma mère. Elle apprit par la gouvernante de ma sœur, qu’elle devait aller avec son élève rendre visite à une vieille famille catholique du comté de Durham (la famille de M. Swinburne, celui qui a voyagé en Espagne, etc.), et, comme l’éducation catholique qu’elle avait reçue dans un couvent français, lui avait acquis des relations très étendues avec toutes les familles catholiques d’Angleterre, et qu’elle avait reçu, elle-même, une invitation dans la même maison, elle écrivit pour offrir sa voiture, et proposer de se rendre avec elle chez M. Swinburne. Naturellement, cela lui valut une invitation de la part de ma mère, et elle s’y rendit.

D’après ce que je vis d’elle, deux ans plus tard, aux assises d’Oxford, elle avait dû être une personne fort remarquable, et son éloquence était étonnante. Si jeune qu’elle fût, elle s’était déjà séparée de son mari. Sur sa voiture, et partout ailleurs, elle se qualifiait l’honorable Antonina Dashwood L —[1]. Mais comme elle n’était en réalité que la fille naturelle de Lord Le D, — elle n’avait aucun droit à se donner ce nom. Elle avait néanmoins reçu de son père une grande fortune, pas moins de quarante mille livres. Toute jeune encore, elle avait épousé un jeune homme d’Oxford qui n’avait d’autre avantage qu’une très grande beauté, et ils n’avaient pas tardé à se quitter, en convenant de partager la fortune.

Ma mère, épouvantée d’avoir à choisir entre les devoirs de l’hospitalité et l’horreur qu’elle éprouvait à se trouver pour la première fois de sa vie en présence d’une personne qui affichait l’incrédulité, finit par tomber malade, ce qui hâta le dé-

  1. Le Despenser. (Note du traducteur).