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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

La mort de mon père eut lieu en 1792 ; ses funérailles, auxquelles mon frère aîné et moi nous assistâmes pour conduire le deuil, furent les premières où je me trouvai. Ce fut la première fois qu’arrivèrent à mes oreilles les solennelles paroles d’adieu du service funèbre anglican : « la poussière retourne à la poussière » et la grande éloquence de saint Paul dans cet incomparable chapitre de son Épître aux Corinthiens. Tout cela se combinant avec l’ensemble de mes sentiments antérieurs, fixa pour toujours en mon esprit ces pensées grandioses.

J’avais alors près de sept ans. Pendant les quatre années suivantes, où nous continuâmes d’habiter la même maison, il n’arriva rien de remarquable, si ce n’est la visite d’une jeune femme très excentrique, qui dix ans après, fit un grand bruit dans le monde, et attira sur elle les yeux de toute l’Angleterre, par l’effronterie coupable dont elle fit preuve dans une affaire qui intéressait la vie de deux gentlemen écossais. À cette époque elle avait environ vingt-deux ans. Sa figure avait une pureté de contour digne des Grecs ; sa personne était élégante, et ses manières d’une haute distinction. En particulier elle étonnait tout le monde par son talent sur l’orgue, et ses puissantes facultés de controverse. Mais elle les employait uniquement à attaquer le christianisme. Elle faisait en effet profession ouverte d’incrédulité et à la table de ma mère elle se montra capable de tenir tête avec succès à tous les clergymen des villes voisines. Comme ils formaient l’élite intellectuelle du pays, quelques-uns d’entre eux étaient chaque jour invités à se rencontrer avec elle.

C’était un simple hasard qui l’avait introduite