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DU MANGEUR D’OPIUM

ral à la vérité, selon sa manière de voir, et comme c’était l’ordinaire, à cause de son style, parmi ceux qui goûtaient le genre pompeux, l’allure de procession, l’artificiel, et même l’enflure, et il y avait aussi des indociles, qui étaient plus accessibles aux grâces naturelles de la langue maternelle, à la vivacité du génie de l’idiome. Enfin je puis ajouter qu’il se faisait trop rarement de la musique chez eux, et que l’hommage respectueux qu’on rendait à l’érudition, je veux dire à l’érudition scholastique, était disproportionné dans son exagération. Comme ils n’avaient pas eux-mêmes l’avantage de l’éducation du collège, mon père et ceux de sa classe considéraient avec une trop grande admiration ceux qui l’avaient reçue. Ils leur attribuaient avec une modestie naturelle une supériorité bien plus grande qu’ils n’en possédaient en réalité, et ne se permettaient pas de voir que les affaires, l’expérience de la vie, leur avait donné à eux-mêmes des avantages équivalents. Ils ne s’apercevaient pas que trop souvent l’homme d’étude devient morne et comateux parmi ses livres, tandis que l’activité commerciale, le tumulte des affaires pratiques avait aiguisé leur jugement, et accru la mobilité de toutes leurs facultés. Quant à l’estime qu’on accordait généralement à Cowper, elle était inévitable : sa peinture d’un foyer dans la campagne anglaise, avec ses longues soirées d’hiver, le sofa roulé devant la cheminée, les lourdes tentures suspendues aux fenêtres, la table à thé « avec son urne qui bouillonne et siffle à grand bruit », le journal et les longues discussions, Pitt et Fox régnant au Sénat, Erskine trônant au barreau — tout cela n’était qu’un simple miroir de cette époque. L’aspect gé-