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une pareille collection de tableaux où soient représentées d’une maniére plus pittoresque la vie humaine, une phase de la société aussi riche en portraits originaux et vigoureux. Le drame tragique des Grecs est la seule partie de la littérature qui ait autant d’intérêt, autant de valeur. Eh bien, fort peu de lecteurs sont actuellement très familiers avec cette section de la littérature. Même les puissantes esquisses de Beaumont et Fletcher, qui, dans leurs dessins comiques, se rapprochent de Shakespeare, gisent sous une épaisse poussière, et pourtant, nous vîmes, il y a vingt ans, Alfieri, dans toute son aride stérilité, prendre une belle place dans le boudoir de toute jeune femme. Il faut dire que dans ce cas particulier, l’honneur immérité qu’on rendait à ce peintre inanimé de la vie, à ce dramaturge sans valeur dramatique, était l’effet d’un hasard, de la publication récente de ses Mémoires. Il est vrai, d’ailleurs, que ses drames insipides, incapables de se soutenir par eux-mêmes, sont depuis longtemps tombés dans l’oubli. Mais ils ont fait place à ceux d’autres écrivains qui ne valent pas davantage, comme ce sera toujours le fait de lecteurs qui ne sont pas assez maîtres d’une langue pour soumettre à l’épreuve d’un sentiment quelconque la réalité des prétentions d’un ouvrage, et qui, par une méprise perpétuelle, prennent le plaisir tout naturel de la difficulté vaincue pour un plaisir qu’ils devraient à l’auteur lui-même[1].

Non seulement la bibliothèque de mon père ne contenait que des livres en anglais, mais encore il

  1. Il est indubitable que ce genre de méprise a surtout contribué à exagérer énormément les mérites de bien des choses médiocres dans la littérature grecque.