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raconté franchement son histoire, il y aurait très probablement reçu non seulement de l’aide, mais encore les meilleurs avis sur la manière dont il devait se diriger. La raison qui l’empêcha de se rendre à l’endroit désigné, n’était autre que sa timidité nerveuse, et surtout aussi la crainte qu’il avait d’être pris à un piège par une bonté insidieuse, et d’être amené à faire des révélations dont chaque détail l’exposerait à un danger. Oxford avait un maire. Oxford avait une Corporation. Il y avait à Oxford des Nouveaux Testaments grecs en nombre infini, de sorte que Pink, s’en tenant à l’expérience du passé, crut que le meilleur parti qu’il pût adopter était de continuer son voyage à pied jusqu’à Liverpool. Cette guinée, néanmoins, disait-il souvent, l’avait sauvé du désespoir.

Il y avait dans cette partie du récit de Pink une circonstance qui m’émut. À cette époque-là, j’étais étudiant à Oxford. En comparant les dates, il n’y avait aucun doute que je n’eusse pu tirer d’affaire mon frère en cette période d’épreuve de son adolescence, et des calamités qui l’attendaient, quatre ans avant l’heureuse péripétie de ses affaires, et je l’eusse fait, moi qui abhorrais mes tuteurs, et qui éprouvais la plus grande admiration pour la conduite de mon frère. Il n’y a rien qui rende plus douloureuses les suites de l’aveuglement humain, que les circonstances fortuites qui rapprochent deux cœurs de frères, ou deux personnes, quelles qu’elles soient, qui soupirent ardemment après leur réunion, quand ces circonstances mettent ces personnes en contact presque immédiat, et qu’alors par un écart de trois pouces de largeur, ou de trois secondes de durée,