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DU MANGEUR D’OPIUM

teurs, l’avaient toujours empêché de tenter de communiquer avec ses frères et ses sœurs. En cela il avait, tort : je me serais laissé hacher en morceaux plutôt que de le trahir. Tout comme lui, j’avais refusé avec ténacité de me soumettre à ce que je regardais comme d’injustes prétentions autoritaires, et comme j’avais été le premier à lever l’étendard de la révolte, mes tuteurs m’avaient reproché d’avoir entraîné Pink par mon exemple. Cela n’était pas conforme à la vérité ; Pink avait agi pour son compte. Néanmoins il ne pouvait rien savoir de ce qui me concernait et il traversa l’Angleterre deux fois sans faire la moindre tentative pour communiquer avec ses amis. Il avait l’habitude de citer deux circonstances de ces voyages, toutes deux relatives au trajet du port de Londres, (car pour lui Londres ne fut jamais qu’un port) à celui de Liverpool, — ou en sens in verse, c’est bien possible, — soit à l’aller, soit au retour.

Dans le premier de ces voyages, il devait passer par Coventry ; dans le second, par Oxford et Birmingham. Chaque fois il s’était mis en route avec fort peu d’argent. Comme il allait quitter le coche pour se rendre au lieu où l’on devait souper la première fois (le voyage durait alors deux jours entiers et deux nuits entières) les autres passagers insistèrent pour payer son écot ; c’était pour rendre hommage à sa beauté, qui n’était pas encore effacée. Il racontait cette partie de ses aventures avec un certain embarras, tout en les narrant avec l’exactitude littérale du marin, quoiqu’il s’agît d’un souvenir qu’il rapportait à ses années d’enfance, et qu’il eût cessé de s’en soucier.

Dans l’autre voyage, il eut des aventures bien