Page:Quincey - Souvenirs autobiographiques du mangeur d’opium, trad. Savine, 1903.djvu/258

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
235
DU MANGEUR D’OPIUM

un craquement formidable, annonçant que l’arbre, si arbre il y avait, avait enfin cédé aux efforts du vieux bûcheron, quoique les recherches faites en plein jour n’eussent jamais fait découvrir cet arbre. Ce bruit reproduisait à s’y méprendre le craquement si familier aux oreilles de ceux qui se trouvaient en grand nombre sur les vaisseaux du voisinage. C’était bien le bruit que font en se déchirant les fibres du bois, sous le poids de l’arbre qui tombe ; il débutait lentement, puis croissait avec rapidité, et se terminait par un éclat sec avec la dernière rupture. Cela fait, un arbre étant abattu pour la provision d’hiver, il y avait un intervalle : il fallait du repos, et le vieux bûcheron, après avoir travaillé pendant plus d’un siècle, devait en avoir besoin. Il serait bien temps de reprendre la besogne après un quart d’heure de délassement. Et en effet, ce temps écoulé, on entendant retentir de nouveau, selon l’expression du Comus « le grondement accoutumé parmi la forêt. » De nouveau les coups se précipitaient à mesure que s’approchait l’instant de la chute. On entendait encore un fois le craquement final ; de nouveau retentissaient les puissants échos à travers les forêts solitaires ; ils étaient répétés par les îles environnantes, de proche en proche, de même que parmi les collines du Westmoreland, résonnaient les éclats de rire de Joanna, au grand étonnement du silencieux Océan. Et pourtant de quel droit l’Océan s’étonnait-il, après avoir entendu ce vacarme nocturne pendant plus d’un siècle, bien compté. Néanmoins mon frère, le pauvre Pink, s’étonnait encore de très bonne foi, car il appartenait au genus attonitorum, et toutes les fois que messieurs les Pirates orientaient leur