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DU MANGEUR D'OPIUM

ser envers son maître le respect qui lui était dû, tant qu’il ne s’était pas rendu compte exactement de la supériorité de force animale dont ce maître était en avance sur lui. Il n’y avait pas d’autre moyen de s’en assurer que la force des coups ; comme il ne se creusait pas la tête à faire surgir les occasions, et qu’il se jetait tête baissée in medias res, surtout quand il soupçonnait quelque penchant à la révolte, il eut bientôt fait de chercher noise à mon malheureux frère. Non pas, remarquons-le bien, qu’il lui fallût une querelle présentable, ou qui eût quelque air de convenance. Non : l’on m’a certifié que lors même que la plus humble obséquiosité eût fait appel à sa clémence, dans la personne d’un timide nouveau-venu, tout épouvanté des récits qu’il avait entendus, même dans ces cas, il jugeait nécessaire d’imprimer dès le début une salutaire terreur de ses foudres olympiennes, et qu’il avait pour principe d’agir comme il suit. Il parlait à très haute voix, lançait un ordre quelconque, pas très nettement, au point de vue de l’articulation, mais dans les termes les plus propres à faire naître l’incertitude sur leur signification, au jeune garçon craintif, sensible sur lequel il se proposait de faire tomber une accusation de désobéissance. — Monsieur, s’il vous plaît, qu’est-ce que vous avez dit ? — Qu’est-ce que j’ai dit ? Comment ! on joue sur les mots ! on fait son logicien ! Culotte bas ! monsieur, culotte bas ! » À dater de ce jour, cet enfant apeuré devenait un instrument dans son attirail. Il était, même sans que son maître y concourût, la preuve que la soumission la plus extrême ne pouvait faire espérer de pitié. De plus ce même enfant, dans toute sa personne exhalait parfois une atmosphère de terreur