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DU MANGEUR D’OPIUM

les souvenirs sacrés des affections domestiques. Et certainement, bien d’autres ont éprouvé la même chose que moi, et je crois que peu de mes lecteurs auront oublié avec quel bonheur Mrs Iuchbald a introduit une scène de ce genre dans la première partie de Simple histoire et combien elle a su la rendre émouvante.

Trente-neuf ans, quarante peut-être, se sont passés depuis qu’a marqué dans ma vie cette matinée de décembre à laquelle je me reporte et cependant, aujourd’hui encore, je me rappelle le bruyant battement de cœur, l’agitation et les bonds de mon sang quand la vieille domestique me dit, sans se presser, sans faire de bruit, mais d’un ton qui avait quelque chose de solennel : « j’entends un bruit de roues, c’est la chaise de poste, M. Il — Il sera bientôt ici. »

La route suivait pendant quelque temps un trajet presque équidistant de la maison, de sorte que le bruit étouffé des roues parvenait uniformément à l’oreille, comme s’il eût été accru par le vent, sans qu’il y eût aucun changement pendant quelques instants. Enfin un coude à angle droit amenait d’une manière plus rapide la route près des portes du domaine, qui avaient été tenues grand ouvertes à dessein. À ce moment une longue rafale se produisit, qui couvrit tous les autres bruits, et pendant quelques minutes je pus croire que nous nous étions trompés, lorsque soudain le bruyant battement des fers des chevaux, qui faisaient le tour pour venir au-dessous des fenêtres, fût suivi d’un long et fort tintement de cloche, pour annoncer, sans erreur possible, que l’on venait m’avertir du départ. La porte fut ouverte. Des pas rapides et sonores se firent entendre sur les