moitié de ses attraits, et toutes ses grâces à la société féminine. En contemplant, avec une admiration peut-être un peu trop grave, cette jeune Irlandaise généreuse et pleine d’entrain, et lui témoignant ainsi ma reconnaissance pour sa bonté, quand je ne pouvais l’exprimer de vive voix, je fus rappelé soudain au sentiment de mon défaut de tact, en la voyant tout à coup rougir. Je crois que Miss Bl… interpréta exactement mon admiration, car elle ne fut point offensée. Au contraire, pendant tous les moments de la journée qu’elle ne réservait point à sa sœur, elle causa uniquement, et sur un ton confiant, avec Lord W… et avec moi. En somme, cette conversation, dans son ensemble dut la convaincre que moi, un jeune garçon que j’étais (n’ayant pas encore quinze ans) je n’aurais pas pris sur moi de lui exprimer directement mon admiration à elle, belle jeune fille de vingt ans, autrement qu’en raison de ce qu’elle avait pris généreusement mon parti, et qu’elle s’était montrée d’une maëstria consommée dans l’escrime éblouissante du duel de reparties. En réalité, mon admiration avait pour seul objet ses qualités morales, son enthousiasme, sa vivacité, son esprit. Cependant, cette rougeur, si passagère qu’elle fût, la simple possibilité qu’un jeune enfant comme moi eût pu faire paraître la plus fugitive marque d’embarras ou de confusion sur une joue de femme, pénétra d’un seul coup comme un vif éclair dans de profondes ténèbres, et illumina ma conscience stupéfaite, d’une clarté qui ne devait plus s’obscurcir, la pure et puissante idée de la féminilité et de la perfection féminine. Ce fut, en propres termes, une révélation ; de ce changement prit date une grande
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