Page:Quincey - Souvenirs autobiographiques du mangeur d’opium, trad. Savine, 1903.djvu/19

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— XII —

à peu près inconnu. Pourvu qu’il revînt de temps en temps au logis, elle le laissa vagabonder et se livrer à toutes les excentricités de collégien mal équilibré qui hantaient son cerveau. C’était une rigide protestante et elle n’aurait pu admettre que l’indocilité fût le meilleur moyen de se procurer des aises et du bien-être. Ce serait un encouragement aux frères cadets, s’ils voyaient récompenser la révolte de leur aîné. Voici comment Quincey raconte une de ces entrevues où il se présentait la conscience anxieuse. « Attristé par ces réflexions, je le fus encore plus par la froideur de ma mère. Si je pouvais me hasarder à supposer en elle un défaut, c’est que dans son caractère hautement tendu, elle dirigeait trop exclusivement sa froideur vers ceux qu’elle savait ou croyait les auteurs d’un mal, à quelque degré que ce fût. Parfois, son austérité pouvait paraître injuste. Mais alors toute l’artillerie de son déplaisir semblait se démasquer, et avec justice, pour tirer sur une observation morale, que n’offrait à ce moment aucune excuse admissible ; cela se disait dans un coup d’œil, s’exprimait d’un seul mot. Ma mère avait de l’inclination à juger défavorablement les causes qui avaient besoin de beaucoup de paroles ; de mon côté, j’avais du talent pour les subtilités de toute nature et de tout degré, et j’étais devenu naturellement expert dans les cas qui ne pouvaient laisser tomber leur appareil extérieur et se présenter sous un aspect aussi simple. S’il y a au monde quelque misère sans remède, c’est le serrement de cœur que donne l’Incommunicable. Qu’un autre sphinx vienne proposer à l’homme une nouvelle énigme en ces termes : y a-t-il un fardeau absolument insupportable pour le courage humain ? — je répondrai aussitôt : c’est le fardeau de l’Incommunicable. À ce moment-là, alors que j’étais assis dans le salon du Prieuré avec ma mère, sachant