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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

vue physique, nous savons qu’il y a une fort grande latitude dans les différences, quant aux dates de la virilité humaine, non seulement d’un individu à un autre, mais encore de nation à nation, différences si grandes que dans certaines régions méridionales de l’Asie, nous entendons parler de matrones âgées de douze ans. Et bien que, comme le dit avec tant de raison M. Sadler, on puisse bâtir sur des faits un roman d’invraisemblances, il reste assez de merveilleux réel pour irriter la curiosité du physiologiste quant à la cause efficiente, et celle du philosophe, quant à la cause finale. Légalement et politiquement, c’est-à-dire d’une manière conventionnelle, les différences sont encore plus grandes si l’on compare les nations et les siècles.

En Angleterre, nous avons vu des sénateurs considérables et influents, et même un premier ministre, le plus hautain, le plus despotique, le plus irresponsable dé son temps, à un âge qui, dans bien des États tant anciens que modernes, eût suffi pour élever une barrière infranchissable à leur candidature aux : emplois les plus infimes. Intellectuellement parlant, redisons-le, une très grande proportion des hommes n’arrivent jamais à la maturité. La décrépitude est leur destinée fatale, et à ce point de vue, la maturité est pour eux une idée pure. Enfin, en ce qui regarde le développement moral, j’entends par là tout l’ensemble, toute l’économie de leur affection et de leur haine, de leurs admirations et de leurs mépris, l’organisation totale de leurs plaisirs et de leurs souffrances, à peine y a-t-il, dans notre espèce, quelques hommes qui arrivent à la maturité. Il serait antiphilosophique de dire que des intelligen-