Page:Quincey - Souvenirs autobiographiques du mangeur d’opium, trad. Savine, 1903.djvu/184

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
161
DU MANGEUR D’OPIUM

comme par ma gravité prématurée, et je puis le dire sans vanité, par la dignité précoce de mon esprit, je me résignais malaisément à me rabaisser à prendre place parmi des jeunes garçons ignorants, et sous un maître qui selon toutes probabilités aurait à peine la moitié de mon instruction. J’étais donc heureux de voir le jour fatal ainsi reculé, et j’avais mes raisons personnelles pour désirer que la décision finale fût prise à L—x—n.

En conséquence mon itinéraire passait par Stamford, où je trouvai qu’il m’était possible de me rendre le lendemain par diligence. Je me disposai donc à tuer le temps de mon mieux dans cette ville sombre et bruyante, et sale, qu’était alors Birmingham.

Ne vous offensez pas, compatriotes de Birmingham, que je salue votre ville natale de ces épithètes peu flatteuses. Il n’est point dans mes habitudes de m’abandonner à de téméraires impulsions de mépris envers aucune réunion d’hommes, quelle que soit la cause qui les rassemble, et moins encore envers une race de citoyens à l’esprit aussi large, aussi intelligent que celle que Birmingham a produite à l’admiration de toute l’Europe. Mais quant au bruit et à l’aspect sombre que je lui attribue, ces traits distinctifs de votre ville feront bien comprendre ce que les Allemands appellent un jugement partial (ein seiliger)[1]. Il y a, je suis tout porté à le croire, des milliers d’hommes pour qui le nom de Birmingham est synonyme de paix domestique, et d’une bonne place au soleil. Mais en ce qui me concerne, moi qui ai passé bien des centaines de fois à Birmingham, le hasard a tou-

  1. Le mot allemand signifie la propension à ne voir qu’un côté des choses. (N. du Tr.)