Page:Quincey - Souvenirs autobiographiques du mangeur d’opium, trad. Savine, 1903.djvu/18

Cette page a été validée par deux contributeurs.

environs en la compagnie de Thomas et alors Thomas devenait son souffre douleur. « Le frère était un forcené batailleur qui ameuta contre eux tous les gamins du pays et obligea l’infortuné Thomas à être son corps d’armée. Pendant que le général en chef accomplissait des prouesses et se décernait des ordres du jour louangeurs, ses troupes recevaient d’abominables raclées[1]. »

Des autres enfants, deux fillettes furent fauchées par la mort, et la visite que Thomas fit furtivement à six ans au cadavre d’une d’elles, est une des pages les plus émues des Souvenirs autobiographiques. Tous, d’ailleurs, étaient mélancoliques, méditatifs et plus tard, Quincey en arrivait à se féliciter des brutalités de son frère aîné qui l’obligeant à guerroyer, c’est-à-dire à se faire rouer de coups, l’avait contraint de faire une violente diversion à ses éternelles spéculations métaphysiques. Sans cela il serait mort de langueur.

Quincey avait encore un autre frère, le Pink dont il raconte les étonnantes aventures en un chapitre entier de ses Souvenirs. C’était incontestablement une tête brûlée et Thomas lui-même, avec ses fugues soudaines, ses longues disparitions, n’a-t-il pas tous les traits d’un dégénéré supérieur ? Se souvient-on du joli portrait qu’en a tracé Carlyle, ce portraitiste magistral : « Assis, on l’aurait pris aux lumières pour un joli enfant : des yeux bleus, un visage brillant, s’il n’y avait pas eu un je ne sais quoi qui disait : Eccovi, cet enfant a été aux enfers. »

La seule personne de la famille, qui n’a pas été nommée ici, l’y eût volontiers renvoyé. Madame de Quincey, bien que son fils en parlât toujours en termes respectueux, ressort de ses récits sous des traits plutôt défavorables. La tendresse maternelle lui était un sentiment

  1. Arvède Barine, Névrosés, p. 75 et 72.