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l’historiographe complaisant des effets de l’opium sur l’âme humaine et il ne s’est jamais lassé de les analyser, de les décrire par le menu, avec une précision qui donne beaucoup de prix à ses récits, et non pas seulement dans ses fameuses Confessions d’un mangeur d’opium, mais dans cent endroits de ses œuvres, de ses lettres, de son journal, de ses notes inédites. Ce n’est pas chez lui l’obsession maladive ; c’est l’hommage volontaire de l’esclave crucifié au maître cruel qu’il ne peut s’empêcher d’admirer et de diviniser tout en luttant contre lui pour sa raison et pour sa vie[1]. »

De ces deux interprétations si divergentes de tournure et de la personnalité de Thomas de Quincey, nous n’hésitons pas à adopter celle de Madame Arvède Barine. L’autre n’est qu’un joli et spirituel paradoxe.

Évidemment Thomas de Quincey n’a pas été seulement le pape de l’opium, auquel cas il n’éveillerait qu’une fragile curiosité, mais si la passion qui devait ruiner et dévaster son cerveau a trouvé chez lui un terrain favorable de culture, l’étude de ce terrain n’est-elle pas aussi intéressante que celle du développement de la passion elle-même ? À entendre Quincey, ce fut « comme à un simple analgésique et par la seule violence de la douleur la plus cruelle » qu’il eut pour la première fois recours à l’opium. Toute autre affirmation, déclarait-il, était une calomnie et il se plaignait amèrement de Coleridge qui avait attiré l’attention du public sur la différence profonde qu’il y avait entre leurs situations respectives comme mangeurs d’opium[2]. Sur ce thème il ne tarissait pas. « Il semble, s’écriait-il, que Coleridge soit tombé dans cette

  1. Arvède Barine, p. 63.
  2. Confessions d’un mangeur d’opium, traduction V. Descreux. p. 36-40.