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DU MANGEUR D’OPIUM

de l’ordre et du décorum ; ils n’étaient point des Titans capables de faire la guerre aux cieux. Quand la sympathie publique les appela et les soutint bruyamment, ils purent suivre une impulsion qu’ils avaient l’air de diriger ; mais ils ne pouvaient créer une telle masse de sentiment public ni conduire et diriger là où ils avaient l’air d’obéir.

En conséquence, cette grande occasion pour l’entrée en scène d’un turbulent fils du tonnerre passa sans qu’on en profitât, et le grand jour s’approcha sans amener des symptômes de tempête. Enfin il arriva, et je ne me rappelle rien qui indiquât autant d’irritation dans l’esprit public que je n’en avais vu, plus de cent fois à Londres dans des occasions relativement banales. Mon jeune ami et moi, nous étions décidés à ne perdre aucun détail de la scène, et nous descendîmes à la Chambre avec Lord A. Il était environ midi, et une grande foule de peuple remplissait l’espace qui sépare les deux chambres. Lorsque la voiture de Lord A. s’approcha des marches de l’entrée, nous entendîmes un bruit formidable de sifflets et de hurlements, et j’éprouvais une agitation réelle à la pensée que Lord A. que j’aimais et respectais, eût à se frayer une route à travers un déchaînement de colère publique. Cette situation était plus terrible pour lui que pour tout autre, à cause de sa difficulté à marcher. Je m’aperçus, néanmoins, que j’eusse pu m’éviter toute anxiété. Cette agitation venait simplement de ce que le major Sirr ou le major Swan, je ne sais au juste lequel de ces deux chefs de police renommés pour leur énergie, avait surpris un individu en flagrant délit d’erreur et de prise d’un mouchoir dans une autre poche que la sienne. Aucun orage de ce genre ne nous