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DU MANGEUR D’OPIUM

férente de ce qu’elle était à Venise, elle était même toute contraire. D’un côté il y avait un gouvernement vieilli, tombé en paralysie, et qui à tout prendre penchait vers la tombe. Au contact de la violence militaire, il renonçait aux quelques années de délai, qui auraient produit inévitablement le même résultat, par la décadence intérieure. De l’autre côté, au contraire, nous voyions une jeune aiglonne, prête à déployer sa puissance, et à laquelle on arrachait prématurément ses titres naturels d’honneur, simplement parce qu’elle n’en comprenait pas la valeur, et parce qu’en cette crise elle n’avait pas de champion. L’Irlande au point de vue politique, était certainement alors en pleine jeunesse, si l’on considère le prodigieux développement qui s’est produit depuis dans sa population et dans ses ressources de toute sorte.

Cette journée, cette importante journée, je l’attendais longtemps d’avance. Il en était sans doute de même pour mon jeune ami, qui aimait l’Irlande avec ardeur, et il était jaloux de ce qui en intéressait l’honneur de près ou de loin. Mais il ne lui appartenait point de dire quoi que ce fût qui pût faire douter du patriotisme de son père, partisan de l’Union, et prêt à la soutenir de toute son influence électorale. Néanmoins, quand je mis le sujet sur le tapis et que je cherchai à savoir de Lord A. les motifs qui l’avaient décidé, lui et d’autres également dévoués au bien de l’Irlande, à voter une mesure qui lui enlevait au moins quelque honneur, qui lui ôtait son nom et sa place parmi les États indépendants de l’Europe, il me parut que père et fils eussent également été enchantés qu’une grande violence populaire exécutât par la force la volonté suprême du Parlement