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D’UN MANGEUR D’OPIUM

Non ; tout ce que je savais par moi-même de Grotius avait pour base ses traductions en vers latins, de nombreux fragments qui restent des tragiques grecs, traductions qui m’avaient frappé par leur beauté remarquable. D’autre part, son livre d’un caractère plus élevé « De Jure pacis et belli » dont lord Bacon a fait un si grand éloge, m’était entièrement inconnu, mais j’en avais entendu parler par une personne fort réfléchie dans des termes tels que, selon toute probabilité, Grotius était mieux doué et se savait mieux doué comme homme de lettres que comme philosophe. À propos de son petit livre sur les révélations mosaïque et chrétienne, j’avais entendu des jugements tout à fait dédaigneux, deux entre autres. De l’un, il ressortait simplement que le sujet était traité avec une force logique bien inférieure à celle de Lardner ou de Paley. Aussitôt, plusieurs jeunes gens exprimèrent vivement leur approbation, surtout à l’égard de Paley. L’Evidences de cet auteur, avait paru sept ans auparavant, et était devenue déjà un sujet d’étude parmi eux. Quant à l’autre objection, elle s’attaquait moins à la pénétration dialectique de Grotius qu’à son érudition, du moins sur un point particulier. Selon une anecdote bien répandue, le docteur Edward Pococke, le grand orientaliste anglais du XVIIe siècle, fut engagé à traduire en arabe ou en turc le petit ouvrage de Grotius ; il répondit en mentionnant la sotte légende du pigeon ou de la tourterelle qui servait d’intermédiaire entre le prophète et le ciel ; légende accréditée et adoptée par Grotius avec la plus aveugle crédulité. Une fable aussi mal fondée produirait, selon Pococke, un double inconvénient ; d’abord elle détruirait l’autorité de ce livre-là en Orient, de plus elle nuirait au christianisme pendant bien des générations, en apprenant aux sectateurs du prophète que leur maître était l’objet du mépris des Francs à cause de ce conte de nourrice, et parce-que des contes de ce genre trouvaient accueil auprès des érudits chez les Francs.

Il en résulterait un double dommage ; d’abord le christia-