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aussi qu’à l’exception de trois ou quatre frères, qui étaient fils d’un clergyman à York, tous étaient comme moi du Lancashire. À cette époque j’avais trop peu d’expérience pour avoir une opinion de quelque poids au sujet des prétentions de supériorité morale ou intellectuelle qui régnaient dans les différentes provinces de notre île. Mais depuis j’ai reconnu que je pouvais être d’accord avec feu le docteur Cooke Taylor, et concéder lu supériorité aux natifs du Lancashire, au point de vue de l’énergie, de l’aptitude à affronter la souffrance et d’autres belles qualités. Il y a un siècle, ils se distinguaient déjà par leur culture et la délicatesse de leurs goûts. Nulle part en Europe, si ce n’est dans quelques parties de l’Allemagne, ils n’avaient de rivaux dans l’habilité musicale et la sensibilité ; aussi même au temps de Haendel, les chanteurs de chœurs du Lancashire étaient les seuls pour qui ses oratorios ont dû être un trésor, qui pour les autres fut toujours sinon formé, du moins très imparfaitement connu.

Un des jeunes gens, remarquant mon air abattu, m’apporta un peu de brandy. Je n’avais jamais goûté l’alcool sous cette forme, ne connaissant que le vin et n’en ayant jamais bu en quantité suffisante pour me troubler l’esprit. Aussi je fus très surpris du changement soudain qui s’opéra dans mon état, changement qui me rendit aussitôt mon aptitude naturelle pour la conversation. Il ne lui manquait plus qu’un sujet assez intéressant. Et ce sujet sortit de la manière la plus simple d’une remarque qui me fut faite par un des enfants ; il donnait à entendre que je n’étais arrangé de mon mieux pour esquiver, en arrivant, l’exercice du dimanche soir. — Non, répondis-je, pas du tout, mais quel était cet exercice ? — Tout simplement la traduction orale dans le petit livre de Grotius sur l’Évidence du christianisme[1]. — Connaissais-je le livre ? —

  1. Le titre exacte est « De veritate christianæ religionis. »