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D’UN MANGEUR D’OPIUM

heures du soir, un domestique me conduisit par un petit escalier, me fit traverser une enfilade de petites chambres obscures et démeublées, qui avaient des fenêtres, mais pas de portes, jusqu’à la salle commune (comme on dit à Oxford) qu’occupaient les seniors. Tout s’était réuni pour m’accabler. Je quittai la société de femmes charmantes, ce qui était déjà une perte sensible. De plus, la saison était pluvieuse, et cela est suffisant pour produire de la dépression. L’aspect désolé des chambres mit le comble à mon abattement. Mais la scène changea dès que la porte fut ouverte. Je vis apparaître des physionomie pleines d’animation. Quinze ou seize jeunes gens étaient dispersés dans la chambre ; deux ou trois d’entre eux, qui paraissaient d’âge à les diriger, vinrent à ma rencontre et me reçurent avec une politesse sur laquelle je ne comptais pas. La bonté sérieuse, la sincérité absolue qu’on voyait dans leurs façons me fit l’impression la plus favorable. J’avais vécu familièrement avec des enfants venus de toutes les parties de l’île, à l’école de grammaire de Bath, et pendant quelque temps, à Eton lorsque je rendais visite à Lord Altamont, j’avais fréquente des enfants qui se piquaient d’appartenir à la plus haute aristocratie. À Bath et à Eton, régnait, à des degrés divers, un ton souverainement poli ; l’extérieur, le langage, la tenue annonçaient chez presque tous et dès l’abord une connaissance prématurée du monde. Ils avaient sans doute l’avantage sur mes nouveaux amis, sous le rapport de la réserve gracieuse, mais d’autre part, ils perdaient à être comparés avec ces enfants de Manchester au point de vue des qualités d’amour-propre extérieur et de dignité. À Eton, les titres étaient en grande abondance ; dans l’école de Manchester, beaucoup d’enfants étaient fils d’ouvriers, ou de personnes de cette classe, quelques-uns même avaient des sœurs qui étaient servantes. Ceux qui occupaient le rang le plus élevé par la naissance et l’ancienneté appartenaient pour la plupart à la noblesse de campagne ou au clergé. Je crois