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II
PRÉFACE DU TRADUCTEUR

deux reproches. Il est des qualités qu’on peut avouer sans fausse modestie ; le sévère La Rochefoucauld met dans ce nombre la mémoire. Ce droit est encore moins contestable lorsque, par une discipline suivie, l’on a fait subir à cette faculté un entraînement énergique ; ainsi qu’on le verra, c’est le cas de notre auteur. Donc, pas d’illusion de sa part, et de plus il n’était pas dans la nécessite de combler par l’imagination les lacunes laissées par la perte de ses documents.

Quant à sa bonne foi, il l’à défendue par des arguments irréfutables. Il fait remarquer la prévention de ses compatriotes contre tout écrit ayant un caractère autobiographique, contre la sincérité à outrance d’un J.-J. Rousseau. Il a lutté contre cette réserve presque farouche qui fait du home anglais un sanctuaire impénétrable, et du for intérieur d’un Anglais un sanctum sanctorum dans ce sanctuaire même. La variété, l’intérêt de ses autres écrits le dispensaient d’avoir recours aux confessions et de raconter des expériences psychologiques dans le simple but de captiver l’attention. On peut le croire quand il dit qu’il a souffert de passer pour un Mangeur d’opium, qu’il a plus souffert encore après avoir avoué son habitude, et que le seul désir d’être utile l’a décidée écrire.

Cette apologie à l’égard de l’erreur, de l’illusion et de la mauvaise foi serait nécessaire aujourd’hui encore, car l’opium est resté l’objet d’une aversion avouée, publique, d’autant plus bruyante, qu’elle sert à dissimuler l’usage qu’on fait de cette substance. Il est difficile de persuader qu’on s’y abandonne par la seule impossi-