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D’UN MANGEUR D’OPIUM

les paisibles et solennelles voûtes d’Oxford ? Quelles désillusions lui avait causées le rude contact du monde extérieur ? Ce celles-ci, deux seulement avaient survécu dans les souvenirs malicieux de « ses amis ». Il était jacobite, comme l’étaient tant de gens parmi mes chers compatriotes du Lancashire, ! il avait bu à la santé du prétendant ; il avait fait cela en présence du docteur Byrom, qui gratifia l’assemblée de son célèbre, mais équivoque impromptu à la santé de ce prince[1]. M. Lawson fut donc obligé d’assister à l’écrasement de son parti politique. Telle fut la première mortification qu’il éprouva. La seconde lui arriva sept ans plus tard, et d’après ce qu’on m’a dit, elle fut accompagnée de cruelles épreuves de dédain. Avait-il interprété dans un sens trop favorable pour lui les indices douteux de la faveur de la dame ? Celle-ci avait-elle, en coquette impitoyable, désavoué les espérances qu’elle avait encouragées ? Quoi qu’il en soit un demi-siècle avait passé en adoucissant, en cicatrisant les blessures du cœur de M. Lawson. Si la dame de 1752 vivait encore en 1800, elle devait être bien ridée. Ici surgit un singulier problème métaphysique. Lorsque l’objet d’un amour passionné est devenu un vain fantôme, l’ardente passion peut-elle survivre, prendre une forme abstraite, se désoler des souffrances qu’elle éprouve, implorer leur consolation ? J’ai entendu dire que cela était

  1. Dans cette réunion improvisée, des Capulets se trouvaient mêlés avec les Montaigue ; l’un de ceux-ci invite le docteur Byrom à porter la santé du roi : « Dieu, bénisse le roi ! Qu’il confonde le prétendant ! » Et le docteur chanta :

    Dieu bénisse le roi, défenseur de l’Église et de l’État !
    Dieu bénisse (ne prenez pas en mauvaise part) le prétendant !
    Lequel est le prétendant, lequel est le roi ? —
    Dieu nous bénisse ! c’est une bien autre affaire !

    Le docteur n’était pas connu seulement comme Jacobite. Il a écrit un manuel fort bien fait, qui, d’après ceux qui l’ont lu, s’élève à une hauteur vraiment philosophique. David Hartley, entre autre, en parle ainsi : « Si jamais il venait à se former une langue philosophique, telle que l’ont souhaitée l’évêque Milkins, Leibnitz, etc. l’ouvrage du Dr Byrom fournirait les caractères qui conviendraient le mieux à son écriture ».