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CONFESSIONS

l’école de grammaire de Manchester. La salle de classe, par sa grandeur, affichait déjà la prétention qu’avait l’école d’appartenir a une catégorie élevée, à cette sorte d’écoles que je crois particulières à l’Angleterre. Pour atteindre ce but si rapproché, l’on avait eu recouru à l’influence imposante de l’architecture, mais avec une gauche parcimonie, et l’on s’en était tenu là. Les murs immenses et blancs étaient ornés à peu de frais de moulures et de grands médaillons en plâtre qui rappelaient aux jeunes élèves les principales gloires de la littérature ; à cela près, ils étaient nus comme les murs d’un dépôt de mendicité ou d’un lazaret. Ces derniers édifices dont la destination évoque des idées tristes et noires, éloignent de l’esprit tout dessein de les embellir par des peintures ou des sculptures, mais la salle dont il s’agit avait un caractère plus noble, et la nudité de ses murs implorait quelque décoration. Il eût été bien facile d’y mouler des scènes variées. L’on aurait tout d’abord, pour rendre hommage aux lettres, représenté Athènes ; la sagesse d’Athènes, personnifiée dans Pisistrate, il aurait fait de son mieux pour donner l’Iliade complète et correcte. En second lieu, les captifs athéniens en Sicile, quatre cents ans avant Jésus-Christ. Ils s’attiraient une généreuse compassion, « en redisant les chants du mélancolique poète d’Électre » . Les passions terrestres étaient si promptement oubliées, grâce au poète athénien d’alors, que l’orage de la colère sicilienne, avec ses vagues, faisait soudain place au calme céleste ; il suffisait pour se racheter d’un souvenir fortuit, d’un fragment mutilé des vers divins d’Euripide ; aussitôt les chaînes tombaient, le captif qui le matin s’était réveillé esclave dans une mine, entrait comme hôte bienvenu dans un palais de Syracuse. On aurait pu représenter « le conquérant glorieux d’Émathie » au début de sa carrière, parcourant Thèbes avec des désirs de vengeance, et calmé par des pensées littéraires, « ordonnant d’épargner la maison de Pindare, alors que les temples, les tours s’abattaient sur le sol ». On eût pu montrer Alexandre