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CONFESSIONS

nous obligeait à prendre une voiture, pendant le service du matin. Mais chaque sermon de cet office m’était imposé comme un texte sur lequel j’avais à improviser deux sortes d’imitations, tantôt le diminutif, la miniature, tantôt l’amplification oratoire, en conservant autant que possible des expressions originales, et aussi (ce qui m’imposait un effort douloureux) l’ordre des idées. Cela eût été bien facile, si ces idées avaient été rattachées naturellement les unes aux autres, si par exemple, elles avaient été les développements d’un sujet, mais leur disposition arbitraire, toute fortuite, me rendait cet exercice aussi malaisé que de danser sur la corde. Aussi, j’étais le seul de toute la congrégation[1] à écouter avec une attention dévorante, à éprouver de l’agitation sous l’influence même de cette parole qui coulait sur la autres têtes, comme l’eau sur des dalles de marbre, c’est-à-dire sous l’influence endormante de quelque sermon de mon somnolent tuteur. Mais cet ennui ne fut pas entièrement perdu ; ces mêmes sermons, dont la durée ne dépassait pas seize minutes, et qui étaient aussitôt oubliés qu’approuvé par chacun, furent pour moi un excellent

  1. Toute la congrégation. — Il s’agit ici d’églises dont j’ai oublié le nom : mon jeune âge épargnait alors à ma mémoire des fardeaux trop lourds. Deux ou trois ans plus tard, quand j’approchai de ma dixième année, l’église de Saint-Pierre fut terminée et ouverte au service. Il y eut donc une consécration de l’édifice par l’évêque de ce diocèse (dioc. de Chester). En qualité de pupille du titulaire, je figurait naturellement parmi les personnes invitées à cette fête, et je me rappelle un petit incident qui montre bien la lutte de sentiments qui on été légués à l’Église d’Angleterre par les Puritains du XVIIe siècle. L’église était construite dans le style grec : assurément les ornements extérieurs et intérieurs étaient assez rares, assez maigres. Mais au centre du plafond, pour diminuer l’effet monotone d’une vaste surface blanche, on avait appliqué une rosace en plâtre représentant une corne d’abondance, avec des fleurs, des fruits. Pendant que nous étions réunis dans la sacristie, recteur, gardien, architecte, et le reste du cortège, il y eut un grand murmure inquiétude, qui ne tarda pas à s’exprimer en paroles : on redoutait que l’évêque ne se crût obligé comme les iconoclastes bourrus de 1645, à fulminer un décret de proscription contre cette simple ornementation de la voûte. Pleins de crainte, nous parcourûmes la petite nef, à la suite du prélat. Sa Seigneurie leva les yeux, mais, — fut-ce par courtoisie, ou par approbation, ce dont je doute fort, — il ne dit rien.