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D’UN MANGEUR D’OPIUM

plendissants, des déploiements fantastiques qui étaient en réalité l’objet de ces confessions, et qui le sont encore.

Mon père mourut lorsque l’avais sept ans. Il laissait six enfants, moi compris, savoir : quatre fils et deux filles, aux soins de quatre tuteurs et de ma mère, à qui la loi en donnait aussi l’autorité. Ce mot excite un frémissement de colère dans mes nerfs, tant le pouvoir spécial du tutorat, tel que l’exerça l’un d’eux, a en d’influence sur l’erreur unique, mais capitale de mon enfance. Elle n’aurait pas été surpassée par ma folie, si celle-ci n’avait pas été aidée par l’obstination des-autres.

L’amer souvenir de cette faute de ma part, de cette obstination chez un tuteur qui m’était hostile me fera pardonner si je m’arrête un instant à considérer les devoirs légaux de cette charge.

À mon avis, il n’est pas dans la société humaine, quelle que soit sa forme de civilisation, un devoir imposé par la confiance ou la loi, qui ait été aussi souvent exposé aux effets de la négligence ou même de la perfidie. Pour les temps classiques de la Grèce et de Rome, la comparaison de nombreux détails m’a donné cette impression que de toutes les formes de l’autorité domestique, nulle n’a, plus que celle-ci, ouvert un vaste champ à la rapacité facile à la concussion. La relation de père à fils, telle que l’était celle du patron au client, était généralement dans la pratique de la vie ordinaire, l’objet d’un amour et d’un dévouement tout religieux, tandis que les devoirs sacrés d’un tuteur envers son pupille avaient leur véritable origine, leur source dans les plus tendres adjurations d’un ami mourant ; bien que rappelés à l’esprit par le spectacle continuel des orphelins sans protection qui jouent autour des précipices cachés sous les fleurs, ils ne parlaient que rarement à la sensibilité d’un Romain avec le ton impératif d’un oracle. Les obligations qui influaient sur le Romain, dans un sens purement moral, étaient bien peu nombreuses,