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D’UN MANGEUR D’OPIUM

Coleridge, une infirmité naturelle. Il y a moins de trois jours, je lisais une courte appréciation de feu l’archidiacre Hare (dans Les Conjectures sur la vérité) relativement à des considérations très hardies, et non moins fantastiques de Coleridge sur la manière dont on fabrique des vers latins à Eton. Mon ancienne manière de voir à ce sujet me revint dans toute sa fraîcheur avec une force d’un comique irrésistible, attendu que Coleridge, voulant appuyer son opinion de citations tirées des livres, ne manque jamais de citer des endroits rêves par lui-même sans qu’on puisse un instant le soupçonner de mauvaise foi dans ce dévergondage d’imagination ; c’est là même ce qui fait l’intérêt de ce cas. Le sourire bienveillant de l’archidiacre à propos de cette méprise étonienne me fit naturellement penser au cas dont il s’agit maintenant, en ce qui concerne l’histoire de nos divergences dans la profession de mangeurs d’opium. Il est inutile que j’en parle plus longuement, le lecteur étant prévenu que tout ce qu’a dit Coleridge à se sujet est parfaitement lunatique, et ressemble aux scènes sculptées sur la lampe suspendue dans Christabel. « Tout était destiné conformément aux images cérébrales du sculpteur. »

Cette affaire peut donc être considérée comme tranchée, et tout ce qu’elle pouvait contenir de divertissant paraît véritablement épuisé. Mais, après réflexion, une autre erreur de Coleridge, erreur bien plus grave, devient plus évidente ; comme elle est liée à l’affaire d’une façon qui explique à fond tout l’ensemble de ces confessions, l’on ne saurait la laisser de côte. Tout lecteur attentif, après quelques instants de réflexion, sentira que, quelle qu’ait été la cause occasionnelle qui nous entraîna, Coleridge et moi, à l’usage de l’opium, elle ne peut expliquer l’usage continu de l’opium. Ni le rhumatisme, ni le mal de dents ne sont des maladies qui durent et habitent dans l’économie. Tous deux sont intermittents, et ne peuvent nullement expliquer une habitude permanente de manger de l’opium : des mois sont nécessaires pour en