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D’UN MANGEUR D’OPIUM

me bornais à chercher quelque adoucissement au mal quand il était déjà constitué, et qu’il échappait à toute prise. Dans cet état de souffrance, état complet et développé, j’étais exposé sans défense à un conseil fortuit, et par là même, par une conséquence naturelle, à l’opium, le seul, l’unique analgésique qui soit universellement reconnu comme tel, le seul auquel tout le monde reconnaisse ce rôle important.

Ainsi donc, Coleridge et moi, nous occupons la même situation, au point de vue de notre initiation baptismale aux effets de cette substance énergique. Nous sommes embarqués sur le même esquif et le pouvoir que posséderait un ange même, pour fendre un cheveu en quatre, ne suffirait pas pour trouver une différence, fût-elle aussi fine qu’une pointe d’aiguille, entre les ombres que nos fautes, la mienne et la sienne, jettent sur ce terrain. Faute contre faute (en supposant qu’il y ait faute), ombre contre ombre (si cette faute pouvait jeter une ombre sur le disque étincelant comme la neige d’une morale ascétique), le fait, chez lui, comme chez moi, recevrait une interprétation identique, serait compté comme une dette d’égale valeur, serait mesuré comme une faute dans la même balance de responsabilité. C’est en vain que Coleridge essaie de créer une différence entre deux situations qui concourent vers une identité absolue, et ne varient que comme le rhumatisme diffère du mal de dents. J’ai toujours été au premier rang parmi les admirateurs de Coleridge, mais je n’en fus que plus étonné quand on me prouva bien des

    en elle qu’une épreuve pour note courage et notre patience. Je ne saurais mieux représenter son intensité, son extrême violence, que par les faits suivants. Dans le cercle de mes connaissances particulières, j’ai rencontré deux personnes qui avaient subi en même temps les tortures du mal de dents et du cancer. Elles déclaraient que le premier était de beaucoup le plus cruel, sur l’échelle de la souffrance. Tous les deux présentent par intervalles ce que les chirurgiens appellent des sensations lancinantes, — ce sont des radiations rapides, éblouissantes, vibrantes de douleur. — et sur cette base de comparaison, paroxysme contre paroxysme ; leur opinion plaçait l’une de ces deux souffrances comme je l’ai indiquée.