s’est évanouie, combler les hiatus béants qui sans cela pourraient bien m’échapper et défigurer pour toujours mon petit ouvrage. En fait le lecteur, s’il s’intéresse à la question, trouvera que pour moi, qui dans un tel sujet suis non seulement le meilleur, mais le seul juge, je n’ai jamais varié d’une ligne en racontant l’affaire d’une façon entièrement différente. J’ai été véridique en disant au lecteur que c’est non pas la recherche du plaisir, mais l’extrême violence d’un mal de dents causé par le rhumatisme, que c’est cela, cela seul qui m’a conduit à l’usage de l’opium. La maladie de Coleridge était le rhumatisme simple. Pour moi, cette maladie, qui était revenue avec violence pendant dix ans, était un rhumatisme facial combiné avec la névralgie dentaire. Je le devais à mon père, ou, pour mieux dire, je le devais à mon ignorance honteuse, car une dose insignifiante de coloquinte, ou de quelque autre remède, prise trois fois par semaine, m’aurait, plus sûrement que l’opium, arrache à cette terrible malédiction[1]. Mais en cette ignorance, qui m’amenait à faire la guerre à la rage de dents quand elle était mûre, quand elle éclatait en sensations douloureuses, au lieu de l’attaquer dans ses germes et dans sa marche, je ne faisais que suivre l’habitude générale. Atteindre le mal, quand il en était encore à sa période de formation, tel était le vrai remède, alors que dans mon aveuglement, je
- ↑ Deux causes contribuent à affaiblir le sentiment d’horreur qui, sans elles, s’attacherait à la rage de dents, savoir son extrême fréquence ; on trouverait malaisément en Europe une famille qui en ait été exempte, une maison dont chaque chambre n’ait pas retenti des gémissements arrachés par cette cruelle douleur. Cette ubiquité contribue à la faire traiter légèrement. En second lieu, tu n’y attache pas d’importance pour un motif indiqué dans un propos qu’on attribue à sir Philip Sidney, je ne sait sur quelle autorité : « S’il y avait des cas mortels de rage de dents, fussent-ils infiniment rares, cette maladie serait regardée comme un des pires fléaux de l’espèce humaine. » mais les paroxysmes les plus aigus n’ont jamais eu d’issue mortelle, comme ses crises les plus violentes cessent tout à coup pour faire place à de longues périodes aussi calmes que le temps des alcyons, il en résulte un dédain assez désagréable dans l’appréciation de cette maladie, et on ne voit plus