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XXXIII
PRÉFACE DE LA DERNIÈRE ÉDITION

étincelle tomba sans que je la visse, de ma bougie sur un tas de papier, et y mit le feu. Si elle était tombée dans le tas et non dessus, le feu aurait bientôt été le plus fort, et se communiquant à la boiserie légère et aux draperies du lit, il aurait atteint les solives du plafond ; comme il n’y avait pas de pompes dans le voisinage, toute la maison aurait été brûlée en une demi-heure. Mon attention fut d’abord attirée par une clarté soudaine sur mon livre, et toute la différence entra la destruction totale de ce qu’on possède et la perte insignifiante de livres qui valaient cinq guinées, fut due à un large manteau espagnol ; on le déploya et on le maintint fortement sur le foyer de l’incendie, avec l’aide d’une personne, qui malgré son agitation n’avait point perdu sa présence d’esprit, et l’incendie fut étouffé. Parmi les papiers qui furent atteints, mais non au point de devenir illisibles, se trouvait : « La fille du Liban. » Je l’ai imprimé et placé avec intention à la fin du volume, comme formant la suite naturelle d’un récit ou l’histoire d’Anne, la pauvre méprisée n’était pas seulement l’épisode le plus remarquable et le plus douloureusement pathétique, c’était aussi une scène qui m’apparaissait sous des couleurs nouvelles ; disons mieux : cette scène transformée, faite, refaite, sans cesse composée, recomposée, formait la substance commune à tous mes rêves d’opium. Les traits de cette Anne que j’avais perdue, et que j’ai poursuivie dans les foules de Londres, je les ai cherchés dans un sens plus général dans mes rêves, pendant bien des années, L’idée générale d’une poursuite, d’une chasse se repro-