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LA FILLE DU LIBAN

toutes deux, se tenant par la main, et tout enfants, avaient erré parmi les cèdres immortels. Et l’Évangéliste se rassit prés du lit ; de temps à autre elle conversait avec lui, puis retombait dans un doux sommeil, sous la fièvre qui l’accablait.

Comme la soirée s’avançait et qu’il ne restait que peu de temps avant le coucher du soleil, l’Évangéliste se leva une dernière fois et d’une voix encore plus solennelle, lui dit : « Ma file, voici le trentième jour, le soleil va achever sa course, peu d’instants me restent pour accomplir la parole que Dieu m’a confiée pour toi. » Et comme de légères vapeurs de délire se jouaient autour de son cerveau, l’Évangéliste leva son bâton pastoral, et le dirigeant vers ses tempes, il chassa les vapeurs, et leur interdit de troubler plus longtemps sa vue, et de s’interposer entre elle et les forêts du Liban. Et les vapeurs du délire s’entr’ouvrirent, s’écartant à droite et à gauche. Mais sur les forêts du Liban était suspendue une puissante masse de nuages obscurs qu’avait rassemblés l’orage du matin. Une seconde fois l’Évangéliste leva son bâton pastoral, et, le dirigeant vers les nuages, il les réprimanda, leur interdisant de rester plus longtemps entre elle et la maison de son père. Et aussitôt les sombres vapeurs s’entr’ouvrirent sur le Liban, à droite et à gauche, et le rayon d’adieu du soleil éclaira tous les chemins qui conduisaient au palais de son père à travers les cèdres immortels. Mais in fille du Liban chercha en vain des yeux dans les chemins pour découvrir quelque souvenir de sa sœur. Et l’Évangéliste, prenant en pitié son chagrin, lui montra le bleu du ciel, que les vapeurs avaient laissé voir en se retirant. Et il lui fit remarquer la paix qui y régnait. Et alors il dit : « Cela, c’est encore un voile. » aussitôt, pour la troisième fois, il leva son bâton pastoral, et le dirigeant vers le bel azur du ciel, il lui commanda, et lui défendit de dérober plus longtemps à la jeune fille la vision de Dieu. Aussitôt l’azur du ciel s’ouvrit à droite et à gauche, laissant voir pleinement les révélations infinies qui ne sont visibles