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LA FILLE DU LIBAN

ment embellie. — parée avec tant de gloire que même Salomon dans toute sa pourpre, même les lis de la plaine, n’égalaient pas tes dons, jusqu’à ce que tu eusses offensé le Saint Esprit de Dieu ? — La femme éprouva un tremblement violent et dit : « Rabbi, que faut-il faire ? car tu le vois, tous les hommes me dédaignent. » L’Évangéliste se prit à songer, et se dit en secret à lui-même : « Maintenant, je vais éprouver le cœur de cette femme, et voir si en vérité il avait de l’inclination pour Dieu, et s’il a dévié seulement à cause de quelque obstacle impitoyable. » Se tournant donc vers la femme, le prophète[1] lui dit « Écoute, je suis le messager de Celui que tu n’as point connu, de Celui qui a fait le Liban et les cèdres du Liban, qui a fait la mer, et le ciel, et l’armée des étoiles, qui a fait la lumière, qui a fait les ténèbres, qui a soufflé l’esprit de vie dans les narines de l’homme. Je suis son messager, c’est lui qui m’a donné le pouvoir de lier et de délier, d’édifier et de ruiner. Demande-moi donc ce que tu voudras, — peu ou beaucoup, — et par moi tu le recevras de Dieu. Mais, enfant, ne demande pas à tort. Car Dieu peut exaucer ta prière funeste si tu lui demandes de tendre des pièges sous tes pieds. Et souvent il semble refuser aux agneau : qu’il aime, alors qu’il les exauce, il leur donne dans le vrai sens, ou bien (ici sa voix chanta comme dans un hymne), ou bien il leur donne dans un monde plus heureux. Ainsi, ma fille, sois prudente pour toi-même, et dis-moi ce que je dois deman-

  1. Le Prophète. — Bien qu’un prophète ne fût pas par cela seul et en vertu de ce caractère, un Évangéliste, néanmoins chaque Évangéliste était nécessairement prophète, dans le sens que donne ce mot l’Écriture. Car il faut se rappeler que le mot de prophète, à moins d’être interprété par l’étymologie, ne désigne pas celui qui annonce ou fait voir à l’avance. Qu’était-ce donc qu’un prophète, dans le sens que donne uniformément à ce mot l’Écriture ? C’était un homme qui soulevait le rideau cachant les secrets desseins de Dieu. Il annonçait et publiait les vérités auparavant voilées de Dieu, et comme les événements futurs pouvaient contenir des vérités divines, le révélateur des événements futur devenait en ce sens un prophète. Mais répétons que le rôle du prophète consistait fort peu à raconter les événements à l’avance, et ne consistait pas nécessairement en cela.