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LA FILLE DU LIBAN

diens de la porte, c’est à lui qu’ils s’empressent d’ouvrir. Ses sandales sont blanches de poussière, car il a voyagé bien des semaines au delà du désert, guidé par des Arabes, afin de porter la nouvelle de l’espérance à Palmyre[1] et son esprit est fatigué de toutes choses, excepte d’être fidèle à Dieu et de brûler d’amour pour l’homme.

Les cités orientales dorment à cette heure. Peu ou point de bruit pour troubler le repos tout autour de l’Évangéliste quand il se dirigea vers la place du Marché. Là une scène différente attire attention. Vers la gauche, dans une chambre d’en haut, dont les volets étaient largement ouverts, de nombreux jeunes gens étaient assis et se divertissaient bruyamment, a la lumière étincelante des flambeaux et des trépieds où brûlaient des bois de senteur : ils unissaient toutes leurs voix dans des chœurs, tous étaient couronnés de fleurs cueillies à Daphné ou sur les bords de l’Oronte. L’Évangéliste ne prit pas garde à eux, mais bien loin vers la gauche, à l’abri d’un enfoncement, sous la lumière d’un seul vase de fer où brûlaient des éclats de cèdre, et qui était suspendu au bout d’une lance, il aperçut une femme d’une beauté si transcendante, que quand elle se montrait tout à coup, sortant des épaisses ténèbres, elle effrayait les hommes comme une illusion, comme une créature de l’air. Était-elle née d’une femme ? C’était peut-être l’ange, — ainsi se dit l’Évangéliste, l’ange qu’il avait rencontré dans le désert après le coucher du soleil, et qui l’avait fortifié par de mystérieuses paroles. L’Évangéliste s’avança et la toucha au front ; quand il se fut ainsi assuré qu’elle était bien une femme, quand il vit d’après la place qu’elle occupait, qu’elle attendait un compagnon, un des jeunes gens de cette troupe débauchée, il gémit intérieurement, il se dit, mais de telle sorte qu’elle pût l’entendre : « Pauvre fleur fanée, à ta naissance tu étais donc divine-

  1. Palmyre n’avait pas encore atteint le zénith de sa prospérité grecque, où elle parvint vert l’époque d’Aurélien, mais c’était déjà une noble cité.