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XX
AU LECTEUR

qu’il en soit ainsi, et pour moi, je me garderai bien de blâmer des sentiments aussi salutaires. Mais d’une part, ma confusion volontaire n’est pas un aveu de culpabilité, d’autre part, si elle en était un, je persisterais peut-être encore à penser qu’en racontant une expérience payée aussi cher, je rends à autrui un service tel qu’il compense largement toute violence faite aux sentiments dont j’ai parlé et qu’il justifie une exception à la règle générale. La faiblesse et la misère ne sont pas fatalement liées à une faute. Les ombres de ce couple ténébreux se confondent ou se séparent selon les motifs visibles, le but qu’avait l’offenseur, les excuses manifestes ou cachées de l’offense, la force des tentations qui ont fait faire le premier pas vers celle-ci, selon l’énergie avec laquelle on a lutté pour agir ou résister. En ce qui me concerne, je puis sans faire tort à la vérité ou à la modestie, affirmer que ma vie dans son ensemble, a été celle d’un philosophe ; ma naissance m’avait destiné à une existence intellectuelle ; dés le temps même de mon séjour à l’école, mes projets et mes plaisirs ont été intellectuels. Si l’usage de l’opium est une volupté sensuelle, si je reconnais m’y être livré jusqu’à un degré qui n’a été atteint par aucun homme, de son aveu, il n’en est pas moins vrai que j’ai lutté contre, cette ensorcelante domination avec un zèle religieux, que j’ai fini par accomplir une tâche qui n’avait été imposée à aucun homme, que j’ai brisé un à un, jusqu’au dernier les anneaux de la chaîne maudite qui m’enserrait. Une telle victoire sur soi-même doit, en toute justice, faire pardonner la faiblesse qu’on s’est