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XVI
PRÉFACE DU TRADUCTEUR

courses haletantes à travers un enfer aux cercles bien autrement nombreux que l’enfer dantesque.

Un caractère frappant sur lequel Th. de Quincey insiste avec raison, consiste dans un lien intime entre les visions de l’opium et les incidents de notre vie. Ces océans agités dont l’étendue interminable donne le vertige, et dont chaque vague est composée de figures qui grimacent, menacent ou supplient, ils ne sont pas autre chose que ces foules qu’il a jadis parcourues, regardant attentivement chacune des molécules humaines qui les composent, dans l’espoir toujours trompé d’y découvrir sa pauvre amie. C’est encore un souvenir des foules de Londres, de ces deux ou trois millions d’êtres entassés dans une cité, de ces deux ou trois millions d’êtres dont le piétinement affairé s’entend de loin, et qu’un poète anglais contemporain a comparé au puissant rugissement du tourbillon central (mighty central upwar). Cette poursuite d’Anne, dont tous les incidents réels sont devenus les textes d’autant de drames visionnaires, n’est que la vie de Th. de Quincey ; comme il l’a dit lui-même, son autobiographie est la substance de ses rêves.

Une dernière question se pose, que les observations précédentes nous aideront à résoudre. L’homme de lettres peut-il puiser dans l’opium ou dans les substances analogues des ressources intellectuelles ? Nous répondrons oui et non. Oui, s’il s’agit de se placer dans des dispositions favorables au travail, et de combattre la douleur physique et morale qui est le princi-