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XIV
PRÉFACE DU TRADUCTEUR

but précis, sans un problème à résoudre, comme quand le compas de l’architecte se distrait en figures symétriques et compliquées, qui n’ont aucun rôle dans l’édifice. Elle peut enfin prendre la mémoire pour compagne de ses jeux et de ses excursions capricieuses, ou lui laisser toute la place. Il résulte de tout cela des combinaisons bien plus variées que celles du kaléidoscope, car le régularité et la symétrie sont un accident fortuit et non l’effet nécessaire de la disposition de l’instrument intellectuel.

Il n’est pas nécessaire de montrer que cette indépendance de la mémoire et de l’intelligence ne sont pas des phénomènes propres à l’état de rêve. Sans doute le sommeil relâche jusqu’à les rendre flottants et insensibles les liens qui nous rattachant au monde extérieur, liens qui pendant l’état de la veille sont tendus parfois au point de vibrer douloureusement en nous. Mais cet état de veille n’est autre chose que la volonté et l’attention ; nous savons bien que toutes deux nous coûtent un effort continuel. Il faut une sorte de volonté pour vouloir ; dès que le regard est fixé sur un point, il se lasse et recommence à errer ; pour peu que la surveillance se suspende, toutes les folles du logis s’échappent, se groupent, s’isolent, racontant, raisonnant, rieuses ou grondeuses ; cela constitue l’état aussi agréable que dangereux qu’on nomme rêverie, maladie qui pousse vers la solitude, et qu’à son tour la solitude aggrave.

Ces fantaisies de la mémoire, de l’imagination, du raisonnement, réconcilient fort bien avec ce bel équi-