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VIII
PRÉFACE DU TRADUCTEUR

fautes l’indulgence pour celles d’autrui. La sensibilité, chez Th. de Quincey, est donc une harmonie exacte entre l’émotion personnelle, instinctive, et des motifs tout intellectuels pour cette émotion. La passion diffère de cette sorte de sensibilité par la violence, l’égoïsme, l’aveuglement, c’est-à-dire qu’elle en diffère du tout au tout, qu’elle en est pour ainsi dire la négation.

Th. de Quincey insiste longuement sur la faculté que possède l’opium, au moins au début de son action, d’établir un parfait équilibre entre les affections et les idées, de donner a l’intelligence la sensation et la santé mentale, où l’imagination, la mémoire, le jugement, les sympathies, les antipathies, tiennent leur place, jouent leur rôle, se renferment dans leurs limites et les atteignent dans tous les sens. En face de ce tableau, il trace avec une singulière puissance descriptive, celui de l’excitation que donne l’alcool, et que la langue anglaise appelle si énergiquement intoxication. Ainsi, voilà deux substances dont l’une est connue, au point que M. Berthelot a pu la reconstituer de toutes pièces, l’autre l’est en partie. Toutes deux se réduisent en définitive à des groupements d’atomes. Qu’on fasse pénétrer ces substances dans la circulation, que la circulation les mette en rapport avec les éléments cérébraux, aussitôt la scène psychologique s’ouvre, s’éclaire, se peuple ; une variété infinie de spectacles intérieurs s’y déploie. Et cela a lieu devant une partie de nous-même qui est la conscience, et qui éprouve devant ces spectacles, terreur, extase, colère, remords. Cette même conscience qui tout à l’heure était puissante libre, et