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attestée par son album fait tomber ces raisons ainsi que l’opinion qui cherche à se fonder sur elles. Il copiait l’antique sans croire enfreindre ses devoirs de chrétien et sans acquérir à cet exercice le sentiment du nu qui lui manquait. C’est encore par des dessins qu’il faut prouver cela.

Dans la figure gravée sur notre pl. X, n°1, tout le monde reconnaît un personnage grec, vêtu de la chlamyde :j’en dirai tout à l’heure l’attribution probable. Certainement ce n’est pas au moyen âge qu’on aurait imaginé ce costume. Il est vrai que ce n’est pas non plus dans l’antiquité qu’on rendait de cette façon les formes humaines. Mais, d’après ce qu’on a déjà dit du talent de Villard de Honnecourt, tout s’explique. D’un beau modèle qu’il avait sous les yeux il a rendu convenablement la seule partie qu’il fût capable d’interpréter, le vêtement. Le reste s’est transformé sous sa main en un à peu près, satisfaisant pour lui, mais qui nous prouve jusqu’à quel point son œil était rebelle à de certaines perceptions.

Ailleurs, la copie d’un modèle antique est, si cela se peut, encore plus incontestable, car elle est avouée par une légende. De tel manière, dit l’auteur, fu li sepouture d’un Sarrazin que jo vi une fois, « ainsi était faite la sépulture d’un Sarrasin que je vis une fois ; » et il dessine au-dessous le sujet de notre pl. VIII. Sarrazin est l’équivalent d’antique et de païen ; murs sarrasins ou sarrasinois signifie toujours les ruines romaines dans les textes du moyen âge. Ce serait donc là un tombeau romain que Villard de Honnecourt nous aurait conservé ; mais il est probable qu’il a aussi jugé de la destination que de la provenance du monument. Dans ce prétendu tombeau, je vois les honneurs divins décernés à un empereur. En haut, Rémus et Romulus soutenant une couronne de feuillage ; l’empereur assis sur un pulvinar, à ses pieds un autel desservi par deux augustales.

Quoi qu’il en soit, le monument est antique ; mais le dessin est gothique. L’architecture est déformée selon le goût du XIIIe siècle. L’empereur est devenu un roi du moyen âge avec son sceptre fleurdelisé dans la main. Les doigts effilés des personnages, leurs pieds en trapèzes, la singulière anatomie attribuée aux poitrines et aux hanches, tout cela nous renvoie à la méthode expliquée ci-dessus, tout cela prouve encore une fois qu’en copiant les anciens, le dessinateur ne les voyait point tels qu’ils étaient.

Plus loin, on trouvera la mention d’autres figures qui paraissent provenir de la même source.