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et venue, nous sortîmes tous ensemble, moi devant, et dès que j’aperçus la justice, j’allai à elle avec un autre des domestiques de la maison, et, affectant un air troublé, je criai : « Justice ! » et on me répondit : « Oui ! » Je demandai : « Est-ce le corrégidor ? » et l’on me fit la même réponse. Aussitôt je me jetai à ses pieds et je lui dis : « Seigneur, le remède à mes maux, ma vengeance et un grand avantage pour la république dépendent de vous. Permettez-moi, si vous voulez faire une bonne capture, de vous entretenir seul un instant. » Il s’écarta un peu, et déjà les archers empoignaient leurs épées, et les alguazils portaient la main à leurs baguettes. Je lui dis : « Seigneur, je viens de Séville, suivant six hommes les plus scélérats du monde, tous voleurs et assassins. Un d’eux a tué ma mère et un de mes frères pour les voler. Ces faits sont prouvés. En leur compagnie, d’après ce que je leur ai ouï dire, est un espion français, et à leurs propos je soupçonne, ajoutai-je en baissant la voix, que c’en est un d’Antoine Perez. » À ces mots, le corrégidor fit un saut en avant et dit : « Où sont-ils ? » — « Seigneur, répondis-je, dans la maison publique, hâtez-vous, le roi vous en saura gré, et les âmes de ma mère et de mon frère vous paieront en prières. » À l’instant il s’écria : « Jésus ! » et ajouta : « Marchons, ne nous arrêtons pas, suivez-moi tous. Qu’on me donne une rondache. » Le tirant alors de nouveau à l’écart, je lui dis : « Vous allez trop vous exposer, Seigneur, si vous vous présentez ainsi. Ils sont dans des chambres,