Elle était si sourde qu’elle n’entendait que par signes. Elle ne voyait guère mieux, et elle aimait si fort à dire son rosaire qu’un jour il se désenfila sur le pot, sans qu’elle s’en aperçut, de sorte qu’elle nous apporta ensuite le bouillon le plus saint que j’aie jamais pris. Les uns disaient : « Ce sont de gros pois noirs qui viennent sans doute d’Éthiopie. » D’autres : « Ce sont des pois en deuil. Mais quel parent leur est-il mort ? » Un des grains échut par hasard à mon maître, qui voulant le mâcher, se cassa une dent. Les vendredis, elle avait coutume de nous envoyer des œufs si couverts de poils et de ses cheveux blancs, qu’ils auraient pu prétendre à la dignité de corrégidor, ou à la qualité d’avocat. Il lui arrivait très souvent de se servir de la pelle au lieu de la grande cuiller et d’envoyer une écuellée de bouillon pleine de charbons. J’ai trouvé mille fois dans le potage des insectes, de petits morceaux de bois, et de l’étoupe qu’elle filait. J’avalais tout, pour qu’il y eût du moins quelque chose dans mes entrailles, et que cela y fît volume.
Nous souffrîmes toutes ces horreurs jusqu’au carême, à l’entrée duquel un camarade tomba malade. Cabra, pour épargner, négligea si longtemps d’appeler le médecin, qu’enfin le pauvre enfant eut plus besoin de confession que d’autre chose. Alors il fit venir un étudiant en médecine, qui tâta le pouls au malade, et dit que la faim lui avait exempté la peine de tuer ce jeune homme. On apporta le viatique, et le malheureux moribond, qui n’avait pas