Page:Quelques notes sur la langue tupi.pdf/3

Cette page a été validée par deux contributeurs.
91
QUELQUES NOTES SUR LA LANGUE TUPÍ


valeur, comme tous les écrits de ce savant sur l’abáñeenga[1].

La bibliographie du guarano–tupi se trouve dans le t. VIII des Annales de la bibliothèque nationale de Rio de Janeiro[2]. Quelques écrits plus récents sont en outre mentionnés dans le § Linguistique de la bibliographie qui accompagne le Brésil.

Malgré le mérite incontestable des PP. Anchieta, Figueira et Montoya, et des autres jésuites qui ont écrit les premiers sur la langue générale des Indiens du Brésil et du Paraguay, on ne peut s’empêcher de reconnaître que leurs ouvrages grammaticaux sont trop artificiels, c.-à-d. trop calqués sur les modèles de la grammaire latine, en vogue à cette époque, quoique le caractère et le génie de la langue latine et du guarano-tupí soient tout à fait différents. Il en résulte que nous sommes privés jusqu’ici d’une grammaire rationnelle, laquelle ne pourrait être composée que par un savant d’esprit indépendant qui tiendrait compte des lois de la linguistique moderne, tout en utilisant les immenses matériaux accumulés par les jésuites et en se pénétrant du caractère et du génie particuliers du guarano-tupí.

Cette langue partage avec celle des deux Amériques le caractère polysynthétique ou agglutinatif : ce quis a contribué à sa propagation rapide et étendue. Les radicaux, généralement monosyllabiques ou dissyllabiques (souvent irréductibles, jusqu’à présent du moins), se réunissent simplement par juxtaposition et sans art (V. plus haut la formation du mot tupan) pour exprimer une idée plus ou moins complexe. Toutefois les mots ne possèdent pas la faculté des flexions si fréquentes dans les idiomes plus riches (par exemple dans les langues sémitiques et indo-germaniques) qui donnent de la clarté à l’expression des idées et rendent avec aisance et par des procédés logiques les nuances les plus délicates de la pensée. Au lieu de cela, on rencontre des particules qui doivent représenter toutes les catégories grammaticales et syntaxiques.

Les PP. jésuites ont un peu trop loué « la délicatesse, la facilité, la suavité, la richesse et l’élégance » de cette langue ; ils lui ont même attribué une perfection égale à celle du grec, du latin et de l’hébreu. Enoncée d’une façon aussi générale, cette assertion est très exagérée. Les premiers missionnaires qui ont dirigé cet idiome tout à fait primitif dans des voies nouvelles en le forçant à exprimer même des idées abstraites et religieuses avec de si pauvres moyens, ont un mérite incontestable ; mais les mêmes résultats ont été obtenus, et quelquefois plus parfaitement encore, avec d’autres langues de la même classe agglutinante en Afrique, en Asie, en Australie, en Europe et en Amérique, et même avec des langues encore plus rigides, comme les langues isolantes ou monosyllabiques, telles que le chinois. Les missionnaires, au Brésil comme au Paraguay, ont été forcés, naturellement, de faire adopter par les Indiens beaucoup de mots portugais et espagnols, surtout des termes religieux et ecclésiastiques.

L’absence des consonnes f et l, s et z (ces dernières remplacées par le ç prononcé doucement avec la bouche peu ouverte), l’absence de verbes auxiliaires, du passif, d’une déclinaison proprement dite, de numéraux au delà de cinq, la rareté de la lettre r au commencement des mots et le son adouci de cette même consonne au commencement et dans l’intérieur des mots, la surabondance des racines homonymes, l’impossibilité de redoubler les consonnes et de prononcer muta cum liquida, l’habitude de préférer au verbe fini des gérondifs formés à l’aide de particules, le défaut absolu de toute production littéraire, — car il n’y a eu parmi les Indiens ni grammairiens originaux, ni poètes, ni historiens, — sont des conditions d’infériorité qui excluent absolument toute comparaison avec le grec, le latin et l’hébreu. Les seules traces qui révèlent quelque activité d’esprit chez les Indiens primitifs se trouvent dans un petit nombre de légendes transmises et propagées par la parole et de petites poésies et chansons populaires. Spix et Martius ont publié deux de ces poésies[3] et M. Couto de Magalhães a réuni quelques poésies et légendes dans son ouvrage O Selvagem[4].

Pour nous, les principales qualités de la « langue générale » consistent dans son aptitude à composer facilement des mots nouveaux, qui expriment les nuances et les modifications des idées, dans son euphonie, dans la grande facilité avec laquelle tous les Indiens et tous les Brésiliens d’origine portugaise la prononcent à cause de la fréquence et de la pureté des voyelles et de l’absence de consonnes accumulées. Exemples : Paraguaçû, de parà, mer, et guaçû, grand ; Ypiranga, — y, eau, rivière, — acanga, tête (a, tête, cang, os) ; Pindamonhangaba, — pinda, hameçon, ligne, — monhangaba, lieu où on fait, fabrique. Dans ces noms, certainement euphoniques et faciles à prononcer, il faut avouer cependant qu’il y a une certaine monotonie résultant de l’uniformité même qui est le caractère d’une langue agglutinante. Toutefois le dialecte guarani, qui ne diffère pas plus du tupí que le portugais de l’espagnol, a une prononciation plus compliquée, par suite des sons nasaux extrêmement fréquents et des sons gutturaux.

La langue tupí a pour les Brésiliens une grande importance, d’abord parce qu’elle est encore aujourd’hui parlée par un grand nombre d’Indiens sauvages qu’il faudrait attirer à la civilisation et par des Indiens déjà civilisés, ensuite parce que la plupart des noms géographiques ont conservé ou reçu des premiers colons, qui parlaient le tupi comme le portugais, leur forme indienne ; enfin parce que beaucoup de mots appellatifs, surtout ceux de la faune et de la flore, ont été adoptés dans la langue portugaise que parlent les Brésiliens.

Dans le projet de création d’une ou deux universités pour le Brésil, on signale la nécessité d’ajouter aux facultés des lettres des chaires de tupi. L’Empereur a signalé depuis longtemps à plusieurs de ses ministres la nécessité d’enseigner cette langue.

Pour donner une idée du guarano-tupí, nous ajoutons le texte, avec traduction littérale, du Pater noster, selon Montoya, et d’une légende en langue tupí, tirée du Selvagem.

  1. Baptista-Caetano d’Almeida Nogueira est né le 5 déc. 1826 dans la Fazenda (plantation) de Paciencia, district de l’ancienne paroisse de Camanducaïa, aujourd’hui ville de Jaguary, prov. de Minas-Geraes. Il est mort à Rio de Janeiro le 21 déc. 1882.
  2. Publié en 1880 : Bibliographia das obras tanto impressas como manuscriptas relativas á lingua tupi ou guarani, organisée par M. Valle Cabral.
  3. Spix und Martius, Reise in Brasilien, III, pp. 1,085 et 1316.
  4. Couto de Magalhães, O Selvagem, Curso da lingua geral segundo o methodo de Ollendorf, comprehendendo o texto original de lendas tupis, etc., Rio de Janeiro 1876.