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qu’on en reçoit ; et quand cela ne changerait pas les choses envers nous, cela nous change envers elles ; le résultat est semblable. N’observons-nous pas tous les jours que les mêmes actions, que les mêmes personnes ne sont plus les mêmes, vues dans des situations différentes ? Ce qui, dans l’ordre moral, rend la même chose admirable, indifférente ou méprisable, tient souvent à si peu, que ceux qui éprouvent quelle est la grandeur de la différence dans l’effet, ne savent quelquefois comment exprimer la petitesse de la cause. C’est le je ne sais quoi ; et ce je ne sais quoi, qui souvent est tout pour le sentiment, n’est jamais rien pour le raisonnement.

Les beaux ouvrages de l’Art, ceux qui furent produits par le sentiment profond de leur accord avec leur destination, sont ceux qui perdent le plus, à être condamnés au rôle inactif qui les attend dans les cabinets. Ceux qui parlaient le plus à l’âme et à l’imagination, sont ceux qui deviennent le plus muets pour elles. Et comment cela ne serait-il pas ? Pour l’empêcher, il faudrait, de la part des spectateurs, un effort d’imagination, une sensibilité dont on n’est guère capable dans ces lieux où aucun sentiment accessoire ne prépare l’âme, et ne la dispose aux affections correspondantes à l’ouvrage.